Mis à jour le 20 décembre 2022

Gabriel Keller, Isséen et Ambassadeur au coeur des Balkans

Diplomate de carrière et Isséen de longue date, Gabriel Keller vient de publier Vers la guerre au Kosovo, un livre qui retrace son expérience au sein de la Mission de Vérification de l'OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe),

Point d’Appui : Pourquoi ce livre, plus de vingt ans après les événements ?

Gabriel Keller : Je suis historien de formation : l’Histoire est une discipline du temps long, différente -et complémentaire- du journalisme, qui décrit les faits sous la pression de l’urgence. Vingt ans après les événements, le temps de l’Histoire est venu, et les passions se sont partiellement apaisées : l’indépendance du Kosovo n’est plus un tabou en Serbie, le jugement de criminels de guerre albanais n’est plus inconcevable au Kosovo. La parution du livre rencontre aujourd’hui l’actualité, avec le départ pour le tribunal de La Haye des plus hauts responsables du Kosovo.

P.D’A. : On y découvre des situations assez éloignées de l'idée qu'on se fait de la vie d'un diplomate, dans des situations plus complexes, des luttes d'influence, des risques physiques parfois.

G. K. : Un ancien ambassadeur décrivait la diplomatie comme une carrière aux cent métiers. Le travail d’un diplomate est très différent selon le pays où il est affecté, et bien sûr selon les responsabilités qui lui sont confiées. Il y a peu de points communs entre une ambassade classique et une mission ponctuelle comme celle qui m’a été confiée au Kosovo, dans une région en situation de guerre larvée.

Les violences s’accroissant sur le terrain, il fallait continuer à vérifier que les adversaires respectent leurs engagements de maintenir le cessez-le-feu et de retirer leurs troupes. Les conflits s’aggravant au sein de la mission, il fallait s’assurer que l’objectif de départ de favoriser les négociations de paix ne soit pas perdu de vue derrière d’autres desseins. Nous devions dans le même temps maintenir le contact avec tout le monde, donc nous rendre dans des zones contrôlées par la guérilla, potentiellement dangereuses. Nous avons déploré quelques blessés légers, mais aucun mort.

P.D’A. : Vous avez été Ambassadeur de France en Yougoslavie à deux reprises, en 1995, puis en 2000. Vous écrivez que si on vous demandait en quoi les Balkans diffèrent d'autres régions, vous répondriez "les bonnes nouvelles y ont la vie plus courte". Pensez-vous possible de parler de réconciliation entre ses différents peuples aujourd'hui ?

G. K. : La formule que vous citez a été écrite dans un moment de pessimisme, presque de découragement dont je veux me garder aujourd’hui. Il serait désespérant de ne pas pouvoir envisager de réconciliation dans les Balkans, tout en sachant que les délais risquent d’être longs. Les dirigeants se parlent déjà, c’est à eux de faire comprendre à leurs peuples que le moment de se réconcilier doit être mis en perspective. Plus ils attendent, plus le développement économique en pâtit. Deux siècles de coexistence ont créé entre la Serbie et le Kosovo des liens que leur séparation en tant qu’Etats distincts ne doit pas forcément couper : liens économiques, touristiques, culturels, religieux, architecturaux etc. Les contacts sont déjà nombreux dans la société civile, il faut les encourager.

P.D’A. : Isséen depuis plus de 30 ans, comment viviez-vous les allers-retours entre vos postes et le retour à la maison ?

G. K. : La Yougoslavie a été mon premier poste en tant qu’Isséen. La tension étant forte à Belgrade, je vivais le retour à la maison comme une parenthèse de calme et de sérénité, d’autant plus que ma famille était restée en France. Mais au-delà du simple confort, je ressentais le besoin de renouer le contact avec le pays que je représentais à l’étranger, sa culture, son économie, l’évolution de son opinion publique. Un ambassadeur est fréquemment interrogé sur les réalisations techniques, les créateurs, les sportifs, les goûts de la jeunesse de son pays. Il doit également identifier des entreprises capables de travailler à l’étranger, chercher à mobiliser des ressources : où trouver les prêts, les financements humanitaires parfois ? Tout cela ne peut pas se faire sans contacts réguliers, approfondis avec son propre pays. Depuis que j’y ai posé mon sac, Issy-les-Moulineaux a toujours conforté mon sentiment d’identité avec la France.