Mis à jour le 22 octobre 2025

VIDEO : La Biennale d’Issy célèbre « l’eau intranquille »

La Biennale d’Issy célèbre son 30e anniversaire, jusqu'au 9 novembre. Rendez-vous incontournable de la scène artistique contemporaine, elle réunit une cinquantaine d’artistes émergents autour, cette année, du thème « L’eau intranquille ». Ces artistes abordent ainsi la relation à l’eau - sa puissance, son mystère, sa beauté troublée.

« Il n'y a qu'une seule eau. Et cette eau est partout. Elle voit tout, elle entend tout, elle sait tout. » 

Ce vers d’Erik Orsenna traverse cette édition 2025 en résonance avec notre époque : dérèglements climatiques, pénuries, inon - dations, mais aussi spiritualité, fluidité, mémoire collective. Sous la direction d’Anne Malherbe, commissaire de l’exposition, cinquante artistes investissent cinq lieux emblématiques : le Musée Français de la Carte à Jouer, la médiathèque centre-ville, l’École des Barreaux, et pour la première fois, le Domaine de la Reine Margot et le Fort d’Issy. 

« L’histoire de l’art nous apprend la richesse plastique de l’eau – les défis techniques qu’elle oppose aux artistes, sa prégnance symbolique, sa propension à servir de cadre aux drames. Des enluminures médiévales à l’océan de Turner ou aux étendues immatérielles de Sugimoto, l’eau fascine par sa diversité de représentation », explique-t-elle. 

Parmi les artistes exposés, certains explorent l’eau comme scène du monde contemporain et miroir de ses tensions : ainsi, Robert Combas imagine l’eau en espace baroque, débordant d’énergie et de chaos joyeux. Plusieurs artistes se préoccupent des enjeux écologiques et des questions de migrations, à l’instar de Barthélémy Toguo, qui associe l’eau à la circulation des corps, à la précarité des frontières et à la préservation des ressources. 

Du 17 septembre au 9 novembre 2025

 

« Placer de l’Art dans la ville nous aide à mieux respirer »

Au Fort d’Issy, l’artiste Pierre Marie Lejeune installe une œuvre sculpturale pensée pour dialoguer avec l’architecture du lieu. Ce sculpteur et dessinateur français dont l’œuvre explore la matière, la lumière et l’espace, a vu ses sculptures monumentales exposées dans le monde entier, de Séoul à Bruxelles, en passant par Pékin et Paris.

Point d’Appui  :   Vos sculptures entretiennent un rapport particulier avec l’architecture et l’environnement. Comment pensez-vous l’inté - gration de vos œuvres dans leur lieu d’exposition ? 

Pierre Marie Lejeune : Je me rends d’abord sur le lieu pour le comprendre - je commence par prendre des photos qui sont des notes visuelles. Je ressens alors assez vite quel type d’œuvre envisager et comment l’intégrer dans un environnement, en fonction de son architecture et de sa nature, végétale ou minérale. Ensuite arrive ma proposition sous forme de suggestion, par des dessins  ou des collages, plutôt qu’une recréation en 3D. La présence et la confrontation d’une œuvre avec un espace enrichissent notre vision et notre compréhension de cet espace et, dans une certaine mesure, l’humanisent. Les villes sont vivantes et respirent, et pour moi, placer de l’Art dans la ville nous aide à mieux respirer. 

P.d’A  : Quel rôle joue la matérialité — le choix du bois, du métal, de la pierre — dans l’expression de votre pensée artistique ? 

P. M. L : J’aime associer différents matériaux qui se répondent et s’imposent par leur caractère de masse et d’acceptabilité. C’est un dialogue et leur choix est donc important. J’essaie d’intervenir le moins possible sur ces différents matériaux porteurs de poésie et d’énergie à l’état naturel. Cela se complique avec l’utilisation du verre et de l’acier dont je ne peux me passer, des matériaux transformés par des processus industriels ou artisanaux qui nécessitent au départ une source de chaleur pour leur fusion. Mais le verre m’apporte la lumière et la transparence et l’acier la robustesse et la force. 

P.d’A  : Quelle place accordez-vous à l’intuition et à l’imaginaire dans la réception de vos œuvres ? 

P. M. L: Je préfère laisser le spectateur aller vers une poésie visuelle nourrie de l’intuition et de l’imaginaire plutôt que canaliser sa perception dans une direction avec des explications trop restrictives. Un artiste peut bien sûr fournir quelques clefs de lecture, mais je pense que les œuvres parlent ou se taisent, et qu’une part de la création et de la motivation échappent aux artistes. 

P.d’A  : Le silence et la verticalité sont des thèmes récurrents dans votre travail. D’où vient cette recherche de la pureté des lignes et du vide ? 

P. M. L : La verticalité est celle des arbres, des constructions architecturales et de l’humain qui se tient droit et marche debout, c’est une composante fondamentale de la vie. Le silence est primordial  : trop de sons, de stimuli sonores, de paroles et de bruit brouillent nos pensées et notre esprit. Pour résumer ma démarche, je dirais que le fameux «  Less is more  » est un axe important de mon travail. 

P.d’A  : Quel est le sens de la sculpture exposée au Fort d’Issy ? 

P. M. L : C’est un signe ludique, un jeu d’eau - on s’éclabousse on est furieux d’être trempé mais on rit - c’est un petit vacarme mélodieux.

Les bouleversements climatiques comme source d’inspiration 

La Biennale d’Issy se poursuit au Musée, à la Médiathèque centre-ville, mais aussi hors-les murs. Rencontre avec Florence Arnold, diplômée des Beaux-Arts de Paris, exposée à l’Ecole de Formation des Barreaux.

Point d’Appui :comment avez-vous abordé le thème de « l’eau intranquille » ? 

Florence Arnold : j’ai abordé ce thème en m’interrogeant sur la fragilité de cette ressource face aux enjeux climatiques mondiaux, notamment le bouleversement climatique, la montée des eaux, la corrosion des écosystèmes aquatiques et la pollution. Cette idée d’eau «intranquille » évoque un état de tension, d’instabilité, qui m’a incitée à explorer des formes dynamiques, oscillantes, évoquant le mouvement constant, les tumultes et l’incertitude. J’ai cherché à représenter cette agitation avec des matériaux et des formes qui traduisent la fluidité, la turbulence, tout en questionnant la fragilité de ces éléments face aux dérèglements climatiques. 

Pd’A : pouvez-vous nous dire quelques mots sur l'œuvre exposée à l’École de formation des Barreaux ? 

F. A. : ma proposition est une embarcation en papier de mûrier blanc qui évoque à la fois la fragilité et la majesté de notre condition humaine. La barque, dérivant sur une flaque immaculée, devient alors le symbole de cette quête de sens dans un monde à la fois pur et vulnérable, reflet de notre planète et de ses ressources proches de l’éphémère, notamment l’eau sacrée, source de vie et de contemplation. Les modules organiques, en ébullition sous un jeu de lumières, incarnent cette vitalité instable, cette oscillation perpétuelle entre stabilité et chaos. 

Pd’A : travaillez-vous à partir d’un croquis, d’une idée précise, ou l’œuvre se construitelle petit à petit ? 

F. A. : je commence généralement par une idée précise, en lien avec le thème à aborder. Cependant, le processus de création évolue souvent au fil du travail, avec des ajustements, des expérimentations sur les formes, les matériaux et les tensions. Le croquis sert à poser une base, mais l’œuvre se construit aussi par une exploration intuitive, ce qui permet d’intégrer des éléments de surprise et de mieux capturer la complexité des modules par rapport à l'espace choisi pour la représentation. 

Exposition jusqu’au 9 novembre, au Musée, à la médiathèque centre-ville, au domaine de la Reine Margot, et à l’Ecole de formation des Barreaux.

La Biennale d’Issy au domaine de la Reine Margot 

Artiste plasticien aux multiples facettes, Benoît Dutour investit le Domaine de la Reine Margot. Entre poésie visuelle, humour et détournement des objets du quotidien, son œuvre interroge notre rapport au réel et à l’absurde. 

Point d’Appui : Quel sens le thème « l’eau intranquille » prend-il pour vous ? 

Benoît Dutour : Ce thème est central. Nous sommes passés en peu de temps d'une eau abondante, pure et douce à une eau contingentée, structurellement polluée et "intranquille". Elever au rang d'œuvre d'art l'eau pour souligner la nécessité de la préserver est pour moi une évidence. Je construis cette démarche, non pas en culpabilisant le spectateur, mais au contraire, en mettant en avant la beauté intrinsèque de l'eau. A la recherche de la forme parfaite permettant de se rapprocher le plus possible de la beauté, je fus en effet saisi, un jour de pluie, par ce que m’offrait la nature à travers des gouttes d’eau tombant du ciel. Chaque goutte d’eau acquiert en effet une forme parfaite, façonnée par la gravité dans son parcours entre ciel et terre. L’émerveillement esthétique se complète par le fait d'insérer à l'intérieur de ces sculptures en verre optique les objets qui nous entourent et dont la beauté se trouve ainsi magnifiée.  

P.d’A : Pouvez-vous nous expliquer la signification de l’œuvre exposée au domaine de la Reine Margot ? 

B.D : C’est la quatrième fois que j'explore l’univers des arbres pour aller plus loin dans la mise en perspective des « Larmes de Joie ». Pour la Biennale d’Issy, je présente pour la première fois un tout nouvel arbre très organique de plus de 2,8m de haut que j'appelle "Arbre de Vie".  Je tente ainsi de faire le lien entre les "Larmes de Joie" qui cheminent du ciel vers la terre puis irriguent les racines pour donner vie notamment au vivant symbolisé par cet arbre. 

P.d’A :Comment choisissez-vous les objets ou les éléments du quotidien que vous mettez en scène ? 

B.D : Il y a grosso modo trois procédés. Le premier consiste à me laisser guider par mes envies et découvertes jour après jour. Le second repose sur le fait de choisir des objets qui feront partie d'une installation dans un espace particulier. Par exemple, les 31 "Larmes de Joie" récemment installées dans le Musée régional d'auvergne contiennent des objets qui témoignent de l'histoire, de la culture et de l'économie des 31 communes liées à ce musée. Enfin, le troisième procédé correspond à des commandes sur mesure avec des objets qui me sont confiés par des personnes qui souhaitent encapsuler pour l'éternité un objet qui leur est cher. 

Retrouvez la Biennale d’Issy jusqu’au 9 novembre au Musée, à la Médiathèque centre-ville, esplanade du Belvédère, à l’EFB et au domaine de la Reine Margot. 

Le programme de la Biennale