La Biennale d’Issy célèbre « l’eau intranquille »
« Il n'y a qu'une seule eau. Et cette eau est partout. Elle voit tout, elle entend tout, elle sait tout. »
Ce vers d’Erik Orsenna traverse cette édition 2025 en résonance avec notre époque : dérèglements climatiques, pénuries, inon - dations, mais aussi spiritualité, fluidité, mémoire collective. Sous la direction d’Anne Malherbe, commissaire de l’exposition, cinquante artistes investissent cinq lieux emblématiques : le Musée Français de la Carte à Jouer, la médiathèque centre-ville, l’École des Barreaux, et pour la première fois, le Domaine de la Reine Margot et le Fort d’Issy.
« L’histoire de l’art nous apprend la richesse plastique de l’eau – les défis techniques qu’elle oppose aux artistes, sa prégnance symbolique, sa propension à servir de cadre aux drames. Des enluminures médiévales à l’océan de Turner ou aux étendues immatérielles de Sugimoto, l’eau fascine par sa diversité de représentation », explique-t-elle.
Parmi les artistes exposés, certains explorent l’eau comme scène du monde contemporain et miroir de ses tensions : ainsi, Robert Combas imagine l’eau en espace baroque, débordant d’énergie et de chaos joyeux. Plusieurs artistes se préoccupent des enjeux écologiques et des questions de migrations, à l’instar de Barthélémy Toguo, qui associe l’eau à la circulation des corps, à la précarité des frontières et à la préservation des ressources.
Du 17 septembre au 9 novembre 2025
« Placer de l’Art dans la ville nous aide à mieux respirer »
Au Fort d’Issy, l’artiste Pierre Marie Lejeune installe une œuvre sculpturale pensée pour dialoguer avec l’architecture du lieu. Ce sculpteur et dessinateur français dont l’œuvre explore la matière, la lumière et l’espace, a vu ses sculptures monumentales exposées dans le monde entier, de Séoul à Bruxelles, en passant par Pékin et Paris.
Point d’Appui : Vos sculptures entretiennent un rapport particulier avec l’architecture et l’environnement. Comment pensez-vous l’inté - gration de vos œuvres dans leur lieu d’exposition ?
Pierre Marie Lejeune : Je me rends d’abord sur le lieu pour le comprendre - je commence par prendre des photos qui sont des notes visuelles. Je ressens alors assez vite quel type d’œuvre envisager et comment l’intégrer dans un environnement, en fonction de son architecture et de sa nature, végétale ou minérale. Ensuite arrive ma proposition sous forme de suggestion, par des dessins ou des collages, plutôt qu’une recréation en 3D. La présence et la confrontation d’une œuvre avec un espace enrichissent notre vision et notre compréhension de cet espace et, dans une certaine mesure, l’humanisent. Les villes sont vivantes et respirent, et pour moi, placer de l’Art dans la ville nous aide à mieux respirer.
P.d’A : Quel rôle joue la matérialité — le choix du bois, du métal, de la pierre — dans l’expression de votre pensée artistique ?
P. M. L : J’aime associer différents matériaux qui se répondent et s’imposent par leur caractère de masse et d’acceptabilité. C’est un dialogue et leur choix est donc important. J’essaie d’intervenir le moins possible sur ces différents matériaux porteurs de poésie et d’énergie à l’état naturel. Cela se complique avec l’utilisation du verre et de l’acier dont je ne peux me passer, des matériaux transformés par des processus industriels ou artisanaux qui nécessitent au départ une source de chaleur pour leur fusion. Mais le verre m’apporte la lumière et la transparence et l’acier la robustesse et la force.
P.d’A : Quelle place accordez-vous à l’intuition et à l’imaginaire dans la réception de vos œuvres ?
P. M. L: Je préfère laisser le spectateur aller vers une poésie visuelle nourrie de l’intuition et de l’imaginaire plutôt que canaliser sa perception dans une direction avec des explications trop restrictives. Un artiste peut bien sûr fournir quelques clefs de lecture, mais je pense que les œuvres parlent ou se taisent, et qu’une part de la création et de la motivation échappent aux artistes.
P.d’A : Le silence et la verticalité sont des thèmes récurrents dans votre travail. D’où vient cette recherche de la pureté des lignes et du vide ?
P. M. L : La verticalité est celle des arbres, des constructions architecturales et de l’humain qui se tient droit et marche debout, c’est une composante fondamentale de la vie. Le silence est primordial : trop de sons, de stimuli sonores, de paroles et de bruit brouillent nos pensées et notre esprit. Pour résumer ma démarche, je dirais que le fameux « Less is more » est un axe important de mon travail.
P.d’A : Quel est le sens de la sculpture exposée au Fort d’Issy ?
P. M. L : C’est un signe ludique, un jeu d’eau - on s’éclabousse on est furieux d’être trempé mais on rit - c’est un petit vacarme mélodieux.