Mis à jour le 17 juin 2025

Jean Dubuffet : l’art comme invention d’un monde à part

En décembre 2025, pour célébrer un double anniversaire, celui de la disparition de l'artiste et de la décision d'installer sa Tour aux Figures à l'Île Saint-Germain, la Ville d’Issy et le Musée de la Carte à Jouer, en partenariat avec la Fondation Dubuffet et le Département, célèbreront Jean Dubuffet avec une exposition, une conférence exceptionnelle et diverses animations. Retour sur son art.

Jean Dubuffet : l’art comme invention d’un monde à part

Jean Dubuffet a profondément marqué l’art du XXe siècle par son refus des conventions et son exploration d’un langage plastique radicalement personnel. Son œuvre, dense et singulière, évolue entre peinture, sculpture et architecture, dans une quête permanente de renouvellement des formes et de remise en cause des cadres traditionnels.

Un départ tardif, une vision claire

Jean Dubuffet se lance dans une carrière artistique dans les années 1940, alors qu’il a déjà plus de quarante ans. Dès ses débuts, il rejette les canons esthétiques et puise son inspiration dans les dessins d’enfants, les graffitis et l’art brut. Dans les années 1950, il multiplie les expérimentations avec des matériaux atypiques : sable, plâtre, terre, aluminium, éléments organiques… L’art ne doit pas reproduire le réel, mais traduire une réalité intérieure, changeante et subjective.

Le début des années 1960 marque un tournant avec la série Paris Circus, où la couleur revient, portée par une vision satirique du Paris en pleine expansion économique.

L’univers de L’Hourloupe : une réalité instable

Entre 1962 et 1974, Jean Dubuffet élabore un cycle d’œuvres baptisé L’Hourloupe. Né d’un simple gribouillage au stylo Bic, cet univers pictural devient un monde parallèle, régi par ses propres lois. Les formes y sont flottantes, ambiguës, ni tout à fait humaines ni vraiment géométriques. L’artiste crée un lexique plastique volontairement instable, qui défie la reconnaissance immédiate. Le spectateur devient partie prenante de l’œuvre : à lui de construire sa propre lecture.

Sculpter les idées, non les objets

À partir de 1966, Dubuffet transpose l’univers de L’Hourloupe dans la troisième dimension. Il sculpte le polystyrène à l’aide d’outils chauffants, sans dessin préparatoire. Pour lui, même les sculptures ne représentent pas des objets, mais des idées. La main guide la matière selon un élan direct, presque instinctif, et les volumes naissent comme des prolongements du dessin.

Ce passage à la sculpture ouvre la voie à une série de maquettes architecturales, sans fonction, qui interrogent les conventions établies de l’espace bâti. Ces structures imaginaires, exposées dès 1968, seront le point de départ de plusieurs projets monumentaux.

La Tour aux Figures : un manifeste sculptural

Parmi ces projets, La Tour aux Figures occupe une place centrale. Haute de 24 mètres, cette œuvre monumentale, aujourd’hui installée sur l’île Saint-Germain à Issy-les-Moulineaux, a été longtemps rejetée avant de trouver son ancrage définitif. Sa réalisation s’achève en 1988, après avoir été validée par Dubuffet peu avant sa mort.

L’intérieur de la tour, surnommé les gastrovolves, propose une ascension en spirale dans un univers clos, sans fenêtre, qui évoque une montagne intérieure. L’ensemble, entièrement peint de motifs abstraits, brouille la frontière entre architecture, sculpture et fiction. C’est une promenade mentale, une immersion dans un monde autonome, où les repères habituels sont suspendus.

Une œuvre monumentale, en constante évolution

Tout au long de sa carrière, Jean Dubuffet conçoit ses œuvres monumentales à partir de maquettes en polystyrène, agrandies à l’aide de pantographes. Ces agrandissements, souvent réalisés en résine ou en aluminium, sont creux, renforcés par des structures métalliques, et peints pour résister aux intempéries. Entre 1970 et 1977, son atelier produit 99 agrandissements à partir de 86 sujets, dans un rythme soutenu, parfois jusqu’à 16 heures par jour.

La Fondation Dubuffet, créée en 1974, conserve ces maquettes originales et encadre la reproduction limitée des œuvres pour préserver leur unicité. Certaines pièces, comme Les quatre arbres installés à New York, sont devenues des références majeures de l’art public moderne.

Entre nature et anti-nature : une réflexion constante

Dans toutes ses œuvres, Dubuffet interroge le rapport à la nature. Mais il ne s’agit pas de représentation fidèle : l’arbre, la montagne ou la roche sont transformés en symboles mentaux. À Flaine, en Haute-Savoie, un groupe d’arbres sculptés – Les Bocteaux – s’intègre dans un paysage naturel tout en restant foncièrement artificiel. Le contraste entre nature et anti-nature est au cœur de cette démarche : la nature est évoquée, mais toujours retravaillée, abstraite, recréée.

Un héritage vivant, aux frontières de l’architecture

Au-delà des commandes publiques, Dubuffet développe aussi des projets personnels, comme La Closerie Falbala, construite entre 1973 et 1976 à Périgny-sur-Yerres. Ce site abrite les cabinets logologiques, un espace de méditation philosophique où l’artiste déploie son langage plastique en relief. Si certaines œuvres n’ont jamais vu le jour, faute de financement ou d’acceptation – comme une tour d’aération pour Bruxelles – d’autres ont trouvé une existence partielle, à plus petite échelle.

Aujourd’hui, les techniques évoluent. Les ateliers utilisent la modélisation 3D, la photographie et des procédés hybrides mêlant travail manuel et technologie. De nouvelles œuvres peuvent être produites à partir des maquettes existantes, dans le respect des intentions de l’artiste.

L’art comme expérience mentale

Jean Dubuffet a toujours revendiqué une conception radicalement subjective de l’art. Pour lui, une œuvre ne devait pas reproduire le réel, mais proposer une lecture du monde, propre à chacun. « Ce n’est jamais la chose elle-même, mais l’idée de la chose », affirmait-il. Son œuvre, foisonnante, monumentale, conceptuelle, continue d’influencer les artistes contemporains et d’interroger les spectateurs. Elle demeure un appel à inventer sa propre réalité.

Pour approfondir l’univers de Jean Dubuffet, de nombreuses ressources sont disponibles sur le site de la Fondation Jean Dubuffet et sur celui du Centre Pompidou. Les visites de La Tour aux Figures et de La Closerie Falbala offrent une immersion physique dans une œuvre pensée comme un monde en soi.

Exposition "Dubuffet Monumental" à la Fondation Dubuffet, jusqu'au 11 juillet 2025.

Fondation Dubuffet, 137 rue de Sèvres, 75006 Paris