À Issy, la coopération franco-coréenne se construit autour du patrimoine
En accueillant le séminaire franco-coréen des collectivités, la ville d’Issy-les-Moulineaux confirme son rôle moteur dans les relations internationales locales, en plaçant le patrimoine et l’innovation au cœur des échanges. Cette rencontre a réuni élus, diplomates, experts et représentants de collectivités françaises et coréennes autour d’un objectif commun : renforcer la coopération décentralisée en s’appuyant sur l’histoire, la mémoire partagée et la valorisation des territoires.
“Faire du patrimoine un langage universel”
Dès l’ouverture du séminaire, André Santini, a donné le ton : « Ensemble, tâchons de faire du patrimoine un langage universel entre nos territoires et nos peuples. » Il a évoqué les multiples visages patrimoniaux d’Issy : du Château des princes de Conti au séminaire Saint-Sulpice, en passant par le Domaine de la Reine Margot, aujourd’hui transformé en hôtel de luxe, et le Fort d’Issy devenu eco-quartier. L’occasion aussi de rappeler les vingt ans de jumelage entre Issy-les-Moulineaux et le district de Guro, à Séoul, qui seront célébrés cet automne.
Une coopération étatique et décentralisée active
Marguerite Bernard, du Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, a précisé le rôle de la Délégation pour les Collectivités Territoriales dans l’accompagnement des projets de coopération internationale. Quatre piliers guident cette action : information, dialogue, promotion et cofinancement. En 2025, plusieurs appels à projets porteront sur l’océan, le sport et le patrimoine, ce dernier faisant écho direct aux discussions du jour.
Virginie Rouquette, directrice générale de CUF, a rappelé quant à elle les cinquante ans d’histoire de l’association. Face aux tensions internationales, elle a appelé les territoires à bâtir « des ponts plutôt que des murs », insistant sur la capacité des collectivités à faire circuler des solutions concrètes. Pour elle, le patrimoine constitue un fil rouge transversal qui relie culture, économie, jeunesse et durabilité.
Des territoires engagés, de Suippes à Clermont-Ferrand
Chaque collectivité présente est venue enrichir la réflexion de ses expériences. Celle de Suippes, petit village de la Marne, a ému l’assemblée par le récit singulier de son lien historique avec la Corée. À l’aube du XXe siècle, une trentaine de Coréens fuyant l’occupation japonaise y avaient trouvé refuge. Monsieur Hong, l’un des premiers Coréens arrivés en France en 1919, a participé à la reconstruction de la région après la Première Guerre mondiale. Résistant à l’occupation japonaise, il a œuvré pour l’indépendance de la Corée et contribué à la création de la première association coréenne en France. Une stèle et un hommage annuel rappellent aujourd’hui cette histoire méconnue.
À l’autre bout du spectre urbain, Clermont-Ferrand a mis en avant son action internationale structurée autour de l’innovation, de la culture et de la jeunesse. Ville universitaire et industrielle, siège du groupe Michelin, Clermont vient de signer un accord avec la ville coréenne de Naju. Un échange de jeunes et une participation au réseau des villes humanistes sont d’ores et déjà programmés.
La Ville de Paris a retracé l’histoire du pacte d’amitié signé dès 1991 avec Séoul. Cet accord structuré a donné lieu à de nombreuses collaborations : urbanisme, mobilité, éducation, climat, logement social… jusqu’à la création d’un Jardin de Séoul à Paris. Dernier temps fort en date : la participation du maire de Séoul au sommet des maires pour le climat organisé à Paris en 2024. La coopération se poursuit avec des échanges techniques et une réflexion partagée sur la formation des agents municipaux.
Le Conseil départemental de la Seine-Saint-Denis s’appuie sur la diversité de ses 1,6 million d’habitants pour nouer des partenariats internationaux. La relation avec Gwangju, ville coréenne symbole de la démocratie depuis un soulèvement populaire de mai 1980 contre la dictature militaire, moment fondateur du mouvement démocratique coréen, s’est concrétisée par plusieurs échanges depuis 2002. Une lettre d’engagement a été rédigée en 2024, ouvrant la voie à des projets sur la jeunesse, les droits humains, le climat et la mémoire. Des collégiens de Gwangju sont attendus en 2025 ou 2026.
D’autres formes de patrimoine ont également été mises en lumière, à commencer par la gastronomie, mise à l’honneur par la ville de Tours. La stratégie alimentaire locale repose sur le label de “Cité internationale de la gastronomie” obtenu en 2013. Elle combine excellence culinaire, éducation, circuits courts et coopération internationale. Tours tisse désormais des liens avec Suwon, ville coréenne invitée d’honneur en 2023, et participera à son festival annuel, fin 2025.
Changwon : le patrimoine comme ressource pour l’innovation
La ville de Changwon était aussi invitée à illustrer comment un patrimoine historique peut être activement intégré aux dynamiques urbaines contemporaines. Située au sud-est de la péninsule coréenne, Changwon est une ville industrielle de plus d’un million d’habitants, connue pour son développement planifié et sa transformation en ville intelligente. L’action patrimoniale de Changwon s’inscrit dans une démarche de valorisation des savoir-faire locaux, de réappropriation des quartiers anciens et de mobilisation du numérique au service de la transmission culturelle. Changwon mise notamment sur ses sites industriels reconvertis, sur la revitalisation de son centre-ville historique et sur la mise en scène de ses traditions dans des formats accessibles aux jeunes générations. Ce positionnement reflète la vision coréenne d’un patrimoine vivant, capable de contribuer à l’attractivité, au tourisme, mais aussi à la cohésion sociale.
Yangpyeong : une histoire retrouvée grâce à Suippes
La commune de Yangpyeong, bien que de taille modeste, a été mise en lumière par l’intervention émouvante de la ville française de Suippes. Le lien entre les deux villes repose sur une histoire oubliée, celle de l’accueil des premiers Coréens réfugiés en France, à Suippes, au début du XXe siècle. Monsieur Hong, figure coréenne ayant vécu à Suippes, avait initié depuis la Marne une collecte de fonds pour soutenir la résistance coréenne face à l’occupation japonaise. Cette mémoire transmise à travers les générations a donné lieu à un partenariat entre Suippes et Byeongpyeong, permettant la redécouverte d’un pan méconnu de la diaspora coréenne. Le partenariat naissant prévoit des échanges scolaires et culturels, notamment dans les domaines de l’histoire, de la mémoire et de l’éducation à la paix.
Yongin : traditions vivantes et innovation technologique
Située à une quarantaine de kilomètres au sud de Séoul, la ville de Yongin incarne un équilibre remarquable entre héritage culturel et transition numérique. Reconnue pour son village folklorique coréen, vitrine du patrimoine vivant de la Corée, Yongin est également en pointe sur les questions d’innovation urbaine, en combinant des technologies de pointe et des politiques publiques ambitieuses.
Lors de son intervention, le représentant de Yongin a présenté plusieurs projets structurants, à commencer par le parc industriel dédié aux semi-conducteurs, secteur clef pour l’économie coréenne. Ce hub technologique est destiné à renforcer l’autonomie industrielle du pays tout en stimulant les échanges internationaux. En parallèle, la ville déploie des initiatives de smart city : circulation de bus autonomes, gestion intelligente des parkings par collecte de données, et bientôt, livraison robotisée de livres pour faciliter l’accès aux bibliothèques dans les zones résidentielles.
Dans le domaine de la santé, Yongin mise sur l’intelligence artificielle avec un centre de soins innovant, capable d’optimiser le suivi médical et la prévention grâce à l’analyse de données. Cette approche connectée à la réalité du terrain renforce l'efficacité des politiques locales de santé publique.
Enfin, la ville affiche une ambition forte en matière de transition énergétique, avec le développement de la filière hydrogène. Des stations de recharge sont en projet pour accompagner la conversion progressive de la flotte de transports publics, et plus largement pour créer un écosystème urbain bas-carbone. Cette stratégie illustre la volonté de Yongin de conjuguer innovation technologique et engagement écologique.
À travers cette combinaison entre culture patrimoniale, haute technologie et transition énergétique, Yongin se positionne comme un modèle de ville du futur, prêt à partager ses expériences dans le cadre de coopérations internationales.
D’autres territoires coréens ont également été évoqués au cours du séminaire, reflétant la diversité des approches locales.
Gyeongsangbuk-do (province du Gyeongsang du Nord) s’est distinguée par la mise en valeur de son patrimoine classé à l’UNESCO, en particulier les villages traditionnels de Hahoe et Yangdong. Ces sites illustrent l’architecture savante des maisons coréennes anciennes, intégrées dans un paysage naturel préservé. La province, riche en histoire, met un point d'honneur à faire dialoguer culture immatérielle, rites ancestraux et tourisme durable, offrant ainsi un terrain d'échange avec les territoires français engagés dans des démarches de valorisation patrimoniale.
Cheonan, quant à elle, a été mentionnée pour son K-Pop Festival de renommée internationale, devenu un symbole du rayonnement culturel coréen contemporain. Ce festival attire chaque année des milliers de jeunes venus de toute l’Asie, et pourrait faire l’objet de coopérations croisées avec des villes françaises investies dans les musiques actuelles, les industries culturelles ou l’accueil de festivals multiculturels.
Autre profil, Pyeongtaek se positionne comme une ville technologique de premier plan. Elle est engagée dans plusieurs filières d’avenir : hydrogène, semi-conducteurs et mobilité du futur, avec une stratégie de développement qui mêle innovation industrielle et attractivité territoriale. Située à proximité de Séoul et dotée d’importantes infrastructures portuaires, elle offre un écosystème propice à l’investissement, à la recherche et à l’accueil d’initiatives internationales.
Enfin, Geoje, ville portuaire du sud du pays, est mondialement connue pour ses chantiers navals et accueille un parc d’innovation orienté vers la transformation maritime, l’économie bleue et la technologie navale. Son expérience peut intéresser des collectivités françaises disposant d’un patrimoine industriel lié à la mer ou en reconversion portuaire.
Ces territoires illustrent la complémentarité entre patrimoine immatériel, innovation industrielle et rayonnement culturel, offrant de multiples perspectives de coopération.